Le 14 juillet, Madame le Premier ministre, et la nouvelle rhétorique de la « protection ». Par Robert Redeker.
Publié le 12 juillet dans Le Figaro Vox sous le titre «En voulant les protéger, on prive certains Français des festivités du 14 juillet»
« Quatorze/ c’est fou ce que t’es gai/ quand au calendrier/ tu es suivi de juillet », chantait de sa voix profonde Jean Ferrat. La fête du 14 juillet est la « sécularisation » de la fête cosmique païenne du solstice d’été en fête politique. C’est par son truchement que les Français fêtent l’été, autant que l’histoire et l’unité nationales. Ainsi, cette fête est-elle habitée par la confiance en soi. Elle est même célébration de soi. Or, voici que Madame le Premier ministre affirme, pour la cuvée 2023 du 14 juillet, dans un grand élan de maternage, vouloir « protéger les Français ». Evoquer notre fête nationale en usant du lexique de la protection est inédit. D’habitude, l’exécutif puise ses mots dans le dictionnaire optimiste de l’élan, de l’engagement, de la générosité. Il exalte le peuple, la nation, le passé et l’avenir, au moyen d’un lexique propre à réveiller l’énergie. Le 14 juillet est, pour démarquer une formule de Barrès, un « professeur d’énergie nationale ». La charge des pouvoirs publics est d’en user comme d’en enseignement. Mais les propos de Madame Borne poussent le citoyen à se poser d’autres questions. Les Français seraient-ils, pour la première fois depuis les 14 juillet des années de l’Occupation allemande, en grand danger ce jour-là. ? La République risque-t-elle donc, le jour de sa fête, d’être renversée ? Un coup d’Etat se prépare-t-il ? Ce programme de protection ne peut susciter que de l’inquiétude. Il laisse entendre qu’existent des ennemis intérieurs suffisamment puissants pour inverser la fête en un cauchemar.
Que fête-t-on le 14 juillet ? Pas seulement la République – si jeune, avec ses un peu plus de 150 ans d’âge -, mais aussi, mais surtout désormais, la nation, qui se forma pour l’essentiel, lentement, aux temps millénaires des rois qui gouvernèrent le pays. La nation déborde la République, et la France naquit puis grandit, devint illustre, éclaira le Monde, bien avant 1789. Le 14 juillet est la fête de la réconciliation et de l’unité de l’Ancien régime et de la République. Que fête-t-on en outre, ce jour-là ? Les millions de paysans qui, depuis le baptême de Clovis, ont, par leur labeur, dessiné le visage physique de notre pays. Ce jour-là est un jour annuel de gratitude qui leur est dévolu. De fait, le 14 juillet est la fête du peuple. Qu’est-ce que le peuple français ? Les rois, les aristocrates, les paysans, les ouvriers, les soldats, deux empereurs, les hommes, les femmes, les enfants, qui, par leur sueur et leur sang, leur foi et leur courage, leur mort et leur vie, ont été les acteurs de notre histoire. Le peuple est cette foule en marche, bâtisseuse d’une civilisation unique, singulière, dont le 14 juillet est la fête : ce jour où, même morts depuis des centaines d’années, ces gens redeviennent, pour quelques heures, présents. Le 14 juillet, tous les morts qui ont fait la France, qui se sont couchés dans la terre au point de fusionner avec elle, jusqu’à devenir sa terre charnelle, sa chair terreuse, ressuscitent et viennent, dans l’amour de la patrie, côtoyer les vivants. La terre est la chair de notre pays, quand les paysages en sont le visage. Le 14 juillet est à la nation ce que la communion des saints est au catholicisme : tous unis dans un éternel présent
La protection promise par Madame le Premier ministre s’accompagne, dans de nombreuses villes, de la suppression de feux d’artifices, de bals populaires, de défilés, de manifestations publiques de joie. Sous couvert de protection, l’on punit les Français que l’on entend « protéger », en les privant de certaines réjouissances nécessaires à l’affirmation de l’identité nationale. Innocents, on les traite comme des coupables dans l’espoir que les véritables coupables supposés se tiennent tranquilles. Chacun reconnaîtra dans ce raisonnement malsain un fond de sorcellerie, un reste frelaté de pensée magique masqué en bienveillance : punir l’innocent pour conjurer le diable ! La réalité de cet abandon obscurantiste, sœur de toutes les reculades supposées garantir « la paix sociale », n’échappe pas à l’esprit critique : l’on traite, implicitement, les émeutiers comme des maîtres en puissance auxquels on se soumet.
N'ayant rien d’accidentel, cette pratique symptomatise une évolution politique de grande ampleur. Voici peu, dans le dessein de « protéger » les Français du COVID, le pouvoir les enferma chez eux, en garde à vue à leur domicile ; aujourd’hui, pour les protéger d'on ne sait trop quoi, et d’on ne sait que trop bien quoi, mais qu’il ne veut éradiquer, il supprime à certains d’entre eux le 14 juillet. Pour les élites politiques en place, gouverner, ce n’est plus conduire un peuple dans les tempêtes de l’histoire, ce n’est plus le forcer au courage dans ces tempêtes, ce n’est plus l’entraîner derrière soi dans la bataille, comme fit De Gaulle, ce n’est plus le contaminer d’enthousiasme, ce n’est plus construire l’avenir avec audace, non, gouverner c’est désormais protéger. Madame Borne a employé le mot-clef et mot de passe de cette nouvelle façon d’envisager la politique, dont les confinements au moment du COVID auront été le laboratoire : « protéger ». Ce verbe est devenu omniprésent dans le langage politique, à lui se réduit toute ambition politique pour le pays. Qui veut protéger doit gouverner par la plus triste des passions tristes, celle qui rend un peuple passif et dépressif : la peur. Dynamique, le message du 14 juillet, tout autant que les paroles de notre Marseillaise, entrent en contradiction avec le discours officiel de la « protection ».
En tenant ce propos de protection, Madame Borne a oublié que la vertu-mère, comme l’a montré Jankélévitch, n’est pas la peur mais le courage. Ce n’est de pas protection dont les Français ont besoin, aujourd’hui comme toujours, mais de courage.