A l’écart du fémininement correct, un thriller de l’Eternel féminin.
Par Robert Redeker
Voici qu’une femme est enlevée par un homme. Qu’elle est retenue prisonnière dans une
cave crasseuse trois mois durant. Que, tout au long de ces semaines, les recherches n’aboutissent
pas, que la rumeur de sa mort se répand, que son cadavre demeure introuvable. Ouvrez alors les
gazettes ! Ecoutez télévisions et radios ! Il n’est bruit, dans le monde simplifié du militantisme, qui a
déteint sur le journalisme, que de la brutalité des hommes et de l’innocence des femmes, - les
hommes, agresseurs par essence, coupables, forcément coupables, ontologiquement coupables, et
les femmes, victimes, forcément victimes, ontologiquement victimes.
Semblable fait divers forme la trame du roman de Marie-Chantal Guilmin, Obsession
mortelle.
Laissez les gazettes, ouvrez-le livre ! Le bonheur sans nuages de Marina, éperdument
amoureuse de son mari, Julien, sera brisé le jour imprévisible où un étrange marginal, un outsider,
François, interrompra sa balade solitaire à vélo, pour l’enlever, la séquestrer, et tenter de la séduire.
La Belle et la Bête ! Essayez alors l’expérience mentale suivante. Imaginez qu’une autre femme – une
de celles qui tiennent le haut du pavé des lettres, dictant l’inflexible loi du fémininement correct -
que Marie-Chantal Guilmin, ait écrit ce thriller. Vous auriez entre les mains ce que l’on trouve de
désagréable dans les librairies : un récit trash, une prose agressive et culpabilisatrice, une rhétorique
revancharde de guerre des sexes, Et par-dessus tout, chez toutes, une introspection plaintive et
complaisante. Bref le fatigant prêt-à-écrire et prêt-à-lire de la littérature communautariste féminine.
Aucun de ces défauts ne grève Obsession mortelle. Exempt du nombrilisme geignard et du
moralisme aussi androphobe que misandre qui plombent de leur lourdeur nombre de romans de ses
consœurs, la fiction de Marie-Chantal Guilmin, à la façon d’une journaliste idéale, est toute
d’objectivité. Mais pas d’une objectivité glacée ! Encore moins d’une objectivité sombre, mère de
désespoir. Au contraire, chaque situation et chaque personnage, y compris ceux qui choisissent les
chemins de la perdition, sont, sous sa plume objectivisante, rédimés par la tendresse que l’écrivain
leur porte. Car le regard de Marie-Chantal Guimin est aussi intransigeant de vérité qu’habité par la
tendresse. Tous, aussi bien Marina, qu’Hélène, sa meilleure amie, qui sont des femmes de leur
temps, solaires, que Julien, que François, le ravisseur, que Claire, la mégère, que les gendarmes, que
les personnages secondaires et les simples ombres, ont droit à la tendresse de l’auteur. L’amour que
tous recherchent est ce qui sauve. Tous, à commencer par le pire d’entre eux, François, et son
insupportable épouse, Claire, sont en quête du salut par l’amour. L’amour est le liant qui tient
ensemble le monde, la colle de l’univers. Il est l’encre qui imbibe les mots de la romancière.
La littérature de Marie-Chantal Guilmin ignore les découpages binaires. Se peut-il qu’une
femme, infernale et tapageuse mégère (cette figure si fréquente dans la réalité est-elle-même
encore possible dans la littérature contemporaine?) pousse involontairement « son homme » à
enlever une autre femme, à la garder prisonnière dans une cave trois mois durant, et, géôlier assoiffé
d’amour à devenir ce que la société appellera « un monstre » ? Quel est l’élément déclenchant du
drame ? Ce doublet, ce mélange détonnant des opposés : la beauté d’Hélène, intelligente de surcroît,
bien dans sa peau et bien dans sa vie, d’un côté, et la méchanceté de la mégère, Claire, abîmée par
l’appétit de domination, figée dans la bassesse d’âme, dont l’intime et touchante blessure ne laisse
couler que du fiel, de l’autre. Ces deux femmes viennent se nouer le cœur de François, incarnant les
deux faces de la féminité !
En explorant les âmes d’Hélène et- de Claire, l’âme lumineuse et l’âme
sombre, en peignant la tentation de l’assombrissement en germe dans cette âme lumineuse, en
extirpant de la noirceur, comme de la lumière fossile, le reste de pureté dans cette âme sombre, la
subtilité de Marie-Chantal Guimin donne vie à l’avers et au revers de l’éternel féminin.
Se peut-il que François, ce « monstre », pour employer le patois des folliculaires, n’en soit
pas un ? Se peut-il qu’à son tour Marina, la séquestrée, ne tienne aucunement son ravisseur pour un
monstre ? Dans notre moment historique où l’idéologie dominante exige des femmes qu’elles
recherchent de la vengeance et du pouvoir en se proclamant victimes par nature, les questions qui
taraudent le lecteur tout au long des pages du thriller d’Obsession mortelle, sont de celles qui
dérangent. Qui bousculent le conformisme intellectuel. Si Marie-Chantal Guilmin a réussi un thriller
qui s’écrit quelque part entre Georges Simenon, pour l’étude des milieux et la profondeur
psychologique des personnages, et Agatha Christie, pour la logique implacable de l’action, elle est
parvenue également a écrire un roman libéré des contraintes idéologiques de l’époque. Ni féministe,
ni antiféministe, ni féminin, ni anti-féminin, et, last but not least, ni anti-masculin, - sans manquer
pour autant d’illustrer l’Eternel féminin !
Marie-Chantal Guilmin, Obsession mortelle, éditions Ramsay, 260 pages, 20€.