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Sartre 1952: Saint Genet, comédfien et martyr. Publié dans Marianne, le 25 juin 2005. 

Avec Saint Genet, comédien et martyr, Sartre offre à ses lecteurs un de ses livres les plus prodigieux. Prodigieux : l’analyse littéraire, la perspicacité psychologique, la précision dans la description phénoménologique de l’existence, la haute voltige conceptuelle, la capacité à articuler toutes ces caractéristiques à la politique et à l’histoire, sans être une seule seconde pesant, sont des éléments qui, encastrés les uns dans les autres, font de cet ouvrage le sommet peut-être de l’œuvre sartrienne. C’est un diamant noir : lumineux par son écriture, aux arêtes vives et tranchantes par l’impeccable logique de la pensée, noir par son contenu (la réflexion sur les romans , le, théâtre et les poèmes de Genet). 

De tous les écrivains du XXème siècle, Jean Genet, qui venait de publier Pompes Funèbres quelques années auparavant, est le plus malcommode à apprivoiser. Le voleur, le voyou, le pédéraste – celui qui est voué au mal, celui qui ne supporte pas qu’on lui fasse l’aumône du bien. Celui qui, loin de nous parler de la pédérastie ou du vol, nous parle en pédéraste et en voleur, en sujet, nous troublant immensément ! Sartre tient l’interprétation psychanalytique et l’explication marxiste pour inaptes à rendre compte de la vérité de Genet. Il comprend qu’il n’est pas possible de se poser en face de Genet dans la posture de la critique littéraire, posture du savoir et du surplomb : d’où l’empathie (il faut se faire diable avec ce diable), l’entrelacs des écritures. Insistons : cet entrelacement des écritures de Sartre et de Genet, comme deux serpents d’abord étrangers se nouant pour n’en faire momentanément qu’un seul, où l’on peut repérer le creuset d’où est sortie la beauté de ce livre, est la méthode employée par Sartre pour pénétrer l’univers de Genet. Toute autre approche eût échouée, tant les mondes sociaux des deux auteurs sont différents. Sartre, cet enfant de petits-bourgeois cultivés réussissant de brillantes études, et Genet, ce chenapan chapardeur, toujours du mauvais côté de la socialité, passant par la case prison ! 

Les pages dans lesquelles Sartre s’enfonce dans l’enfance de Genêt, par le biais de cet entrelacement des écritures, écrivant quasiment Les Mots de Genet, avant d’écrire en 1963 les siens, sont parmi les plus saisissantes de ce livre. De fait, explique Sartre, c’est un mot qui a décidé, dans son enfance du destin de Genet : “ voleur ”. Il n’est pas né au milieu des livres, il est né d’un mot prononcé par d’autres. Un mot vertigineux le transformant en paria et intouchable.L’analyse sartrienne s’accompagne de puissantes descriptions phénoménologiques, qui rappellent l’Etre et le Néant : celle de la honte, celle de la conscience, celle de l’homme bon, entre beaucoup d’autres. La question “ Comment aborder Genet ? ” en jouxte une autre : “ Quel usage faire de Genet ? ”. Quel usage faire d’un intouchable ?  L’écriture sartrienne touche l’intouchable. Il faut, exige Sartre, écouter la voix de ce sophiste malhonnête, héros pourtant de notre temps : Genet nous tend un miroir exagérant notre mauvais foi jusqu’à nous la rendre insupportable.