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Jeunes et vieux, même combat. A propos de Bienheureuse vieillesse, par Laurence Vanin, dans Rebelles, janvier-février 2016. 

Dans une société où être jeune c'est vivre avec cet a priori du manque d'expérience, de la même manière qu'être vieux n'est pas très vendeur car signe de décadence et d'effondrement, comment comprendre cette dictature de l'entre deux âges ? D'autant que l'âge moyen — 40 ou 45 ans — se doit de posséder une expérience mais dans un physique déjà remodelé par une chirurgie esthétique ou par quelques subterfuges ou injections de botox. En gros, la maturité ne doit s'exprimer et donc se percevoir seulement par l'entremise d'un esprit de sérieux et l'expression d'une certaine fraîcheur physique. A en voir les couvertures de magazines, l'illusion est totale puisque bien souvent les modèles n'ont guère plus de 25 ans mais elles sont représentées de telle manière qu'elles semblent déjà incarner la dynamique des quarantenaires qu'elles sont censées représenter. Ce décalage voulu, ne choque même plus...

 

 

En danger de gérontocide...

 

A croire que le pragmatisme et le sérieux ne concernent que les quadras. Cette posture consiste à refuser d'accorder sa confiance aux jeunes en sous-estimant leurs capacités d'adaptation et de réflexion et à refuser d'oc  troyer aux anciens une sagesse bienveillante dès lors que leur apparence révèle le poids de leurs années. Y aurait-il alors une dictature du jeunisme cette pensée qui refuse le vieillissement et impose sa vision et ses idéaux à la totalité de la société ? Comme l'affirme Robert Redekerl : « Aussi incroyable que cela puisse paraître, la vieillesse est en danger. Le danger dont nous parlons ne provient pas de la nature, la mort qui met fin à toute existence, qui réduit empoussière toute vie, mais de la culture, du complexe idéologique qui surplombe les sociétés occidentales. Deux lignes de force dominent cet écheveau idéologique : le jeunisme et l'utilitarisme économique. La vieillesse est en danger de mort. Elle est en danger de gérontocide. » Les journaux ne montrent les vieux que lorsqu'il existe un risque de canicule, ou lorsque la nouvelle doyenne fête un nouvel anniversaire, ou encore pour rappeler que le nombre de poilus vivants se réduisait sans que tous « nos » anciens soldats n'aient été célébrés comme des héros de la nation. Il semble qu'une certaine image réductrice de la vieillesse soit socialement véhiculée. La publicité met en scène la vieillesse en ventant des colles à dentier, en montrant comment éviter les problèmes liés aux fuites urinaires, aux risques de chutes dans la baignoire ou dans les escaliers, ou encore aux testaments obsèques. A croire que la vieillesse n'est pas belle. Qu'elle est honteuse et se doit d'être cachée.

Aujourd'hui les craintes s'accentuent proportionnellement aux difficultés sociales. La jeunesse redoute le chômage, l'exclusion et la précarité. Trop souvent aussi, lui est reproché son manque d'expérience pour justifier le refus d'une embauche, ou de lui octroyer des responsabilités. Ce qui conduit à une démotivation et à une dévalorisation de certaines compétences. Les jeunes gens se sentent exclus, alors que le monde professionnel attend qu'ils fassent leurs preuves ou plus trivialement qu'ils vieillissent avant de leur confier des responsabilités. Pourtant, les jeunes motivés, organisés ont toutes les chances de trouver un emploi si leur démarche, structurée par l'effort et la motivation, se veut intelligente et performante. Se projeter, c'est déjà se donner les moyens d'atteindre certains objectifs. C'est planifier avec clairvoyance et se donner les moyens de réussir. Pour autant, encore faut-il réenchanter cette jeunesse en quête de réalisation. Jeunes et Vieux :  et résistez !

Chacun le sait pour s'extraire de sa prison la volonté doit s'affranchir, devenir une volonté à laquelle rien ne serait impossible. La volonté de puissance enseigne donc aux hommes qu'il est impérieux de vouloir, car la volonté délivre du temps et crée du devenir. Ainsi ce qui peut surprendre c'est que l'instant n'a pas « d'âge » car il se veut rupture entre deux néants - ce qui n'est plus et ce qui n'est pas encore — et se distingue complètement de la durée conçue comme quelque chose qui relève de la continuité. L'instant n'est pas une coupure artificielle, c'est ce qui désigne une attention, une pleine vigilance et non pas comme le concevait Bergson une « intuition » telle la saisie de moments fondus les uns dans les autres. Ce qui implique de penser la vie dans l'ordre du discontinu, comme une suite d'instants fuyants où les actes s'exécutent comme distincts les uns des autres. L'instant révèle la solitude du sujet qui s'engage mais elle occulte l'âge de celui qui agit. D'ailleurs dans l'acte de naître ou celui de mourir, chacun est seul face à l'événement. Toutefois, dans la suite d'instants distincts les uns des autres, s'insère la possibilité de l'acte novateur où Jeunes et Vieux peuvent exprimer à leur manière ce qu'ils sont. D'où l'exigence :

« Vis de telle sorte que tu doives souhaiter de revivre, c'est le devoir - car tu revivras, en tout cas ! Celui dont l'effort est la joie suprême, qu'il s'efforce ! Celui qui aime avant tout le repos, qu'il se repose ! Celui qui aime avant tout se soumettre, obéir et suivre, qu'il obéisse ! Mais qu'il sache bien où va sa préférence, et qu'il ne recule devant aucun moyen ! Il y va de l'éternité » Il est des luttes internes qui doivent aider à faire battre en retraite l'homme du ressentiment, l'homme faible qui ressasse son passé et se révèle inapte à accueillir le bonheur. Les combats se déroulent en nous-mêmes avant d'entreprendre, lorsque les volontés ne sont encore qu'au stade embryonnaire. Il faut donc du courage pour battre en brèche les valeurs corrompues et viciées par la faiblesse du jeunisme. Le surhumain enseigne aux êtres la force et la difficulté de maintenir la fermeté de la volonté. L'homme n'est finalement pas assujetti à cette nécessité du dictat social. Il est libre et volontaire et à tout âge, il sait rire.

Laurence Vanin*

1. Rober Redeker, Bienheureuse vieillesse, Ed. du Rocher.

2. La volonté de puissance, II, p. 345.

 

 

Laurence Vanin, philosophe, essayiste auteur de L'Enigme du temps ; vers une philosophie du sablier. Editions Detrad.

 

 

 

 

 

Janvier-Février 2016. 

Laurenve Vanin