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Foucault, l'incendiaire. Par Robert Redeker. Le Figaro littéraire, 26 nvembre 2015. 

Foucault  l’incendiaire. 

 

 

 

 

Un philosophe incendiaire prend rang parmi les auteurs de la plus prestigieuse des collections, « La Pléiade » ! Et en deux volumes ! Au vu de son talent d’écrivain et des effets de réalité de son œuvre, rien n’apparait plus légitime que l’entrée de Michel Foucault (1926-1984) dans ce panthéon de la littérature. Ce penseur est en effet de la race, typiquement française, des Michelet et des Duby, des Bergson et des Braudel : sa recherche intellectuelle passe par une écriture souvent étincelante. Le style de l’âge classique revit avec éclat, quoique pour animer des passions postmodernes, dans Les Mots et les Choses (1966) et dans Surveiller et Punir (1975). Nonobstant ces attendus, deux questions s’imposent au lecteur : quel est le sens de cette consécration, et quel regard d’ensemble porter sur l’œuvre de ce philosophe emblématique de l’après-68 ? 

 

  

La traversée des grands livres de ce philosophe débouche sur un constat : Foucault est un incendiaire. Oui, ses livres sont des incendies – de la prison, de l’asile, de l’école, de la caserne, de l’hôpital, de tous ces lieux d’institution qu’il appelle avec horreur « lieux d’enfermement » !  Ce n’est pas seulement son corps qui, métaphoriquement, est feu – « mon corps, ce papier, ce feu », écrit-il superbement en commentant Descartes – c’est tout ce qu’il approche. L’intelligence et la plume de Foucault sont pyromanes. Tous ces petits incendies, par lesquels il ravage les institutions de la France de la Vème république, de la France des 30 glorieuses, gaullo-pompidollienne puis giscardienne, convergent vers le grand incendie secrètement espéré par le philosophe, l’incendie de l’Occident. Ce secret espoir seul, inavoué et inavouable quoique présent comme une nappe souterraine à chacune de ses pages, explique, après avoir appelé Khomeiny « le saint homme exilé à Paris », son ralliement à la révolution des ayatollahs ! Bien au-delà des seules institutions, Foucault entendait détruire l’homme qu’elles prétendaient éduquer, construire, punir, surveiller et corriger : l’homme de l’humanisme occidental, le socle anthropologique du ménagement occidental du monde, le sujet. L’incendie se propage aussi à l’homme et au sujet – le livre Les Mots et les Choses, où surgit le verdict   de « la mort de l’homme », a quelque chose du bûcher.  

La contestation d’hier est devenue l’ordre d’aujourd’hui. Ce n’est pas que les contestataires à la Foucault aient tourné casaque, comme ces cols maos passés au Rotary. C’est que leurs idées soient devenues celles de tous les pouvoirs, en particulier du pouvoir médiatique. Sans le savoir, en pratiquant la politique de la terre brûlée, Foucault a préparé l’univers actuel du « politiquement correct ». De ses analyses sont issues les normes impitoyables qui structurent la police contemporaine de la pensée et des comportements ; d’origine rebelle, elles sont devenues l’âme et la justification d’une « société de contrôle » dont le philosophe pourtant devinait et craignait l’émergence. Pervers postmoderne, le rebellocrate trouve dans les livres de Foucault le saint chrême légitimant sa domination. 

Longtemps la gauche a été marxiste. L’année même de la mort de Foucault, en 1984, elle entame une mue : elle se fait moins socialiste pour devenir plus sociétaliste. Voici qu’elle change de vocabulaire et d’horizon, qu’elle substitue la lutte contre le racisme à la lutte des classes et à l’émancipation des travailleurs. Fini le temps du peuple - Foucault fait entrer la gauche dans l’âge des identités et des minorités ! Plus précisément, dans le sillage du versant culturel de Mai 68, reprenant les analyses de Foucault, voici qu’elle promeut les identités (à condition que ce ne soit pas l’identité nationale française léguée par l’Histoire, ni celle de l’hétérosexuel blanc) et les différences, s’intéresse à la couleur de la peau et politise les pratiques sexuelles minoritaires. Foucault a réussi un putsch philosophique en évinçant Marx de la gauche ; par suite, ces des deux tomes passeront à jamais pour la Bible du sociétal. L’œuvre de l’incendiaire est devenue le vade-mecum du conformiste.  

Omniprésentes, pain quotidien du microcosme politique et médiatique, les mots, les thématiques et les vues de Foucault se sont imposés. Toutes les récentes réformes sociétales - aussi lois pénales voulues par Mme Taubira que la promulgation du mariage pour tous – en témoignent. L’œuvre de Foucault en est l’humus et l’atmosphère. Elle est l’air que l’on respire dans les bureaux de certains ministères. Foucault fut le héraut de de toutes les libérations, de toutes les rebellions, de toutes les violences tenues pour libératrices dès lors qu’elles viennent des marges, et qu’elles soient le fait de minorités. De son vivant, il était toujours du côté du fou, du délinquant, de l’enfermé, du pervers, du malade, du drogué, du marginal, des « hommes infâmes », comme il disait, pour porter leur voix. Aujourd’hui sa pensée campe du côté du pouvoir. C’est qu’elle est devenue l’idéologie officielle ! C’est qu’elle est devenue l’idéologie dominante ! Avec le temps, la cause des différences et des marginalités s’est muée en cause du pouvoir. Comment alors ne pas voir dans les livres de Foucault les forges ardentes où se façonne l’idéologie dominante ? 

Parcourir ces deux volumes, depuis Histoire de la folie à l’âge classique (1961) jusqu’à l’Histoire de la sexualité (1984 pour la dernière partie), fait éclater une singularité de la vie des lettres qui sera jugée pittoresque dans deux siècles. Foucault en effet s’inscrit dans une espèce d’intellectuels inédite dans l’histoire, tout à fait bizarre : la caste de ceux qui s’attachent à incendier la civilisation qui leur a tout donné, dont ils ont sucé le lait, qui les a auréolés de tous les lauriers, qui forme le sol sur lequel ils ont pu grandir. Toujours et partout, artistes et intellectuels l’ont été de célébration. A partir des années 60 en France, ils le devinrent de dévastation. Avec Foucault, l’intelligence ne sert plus la gratitude, elle ne sert plus que le ressentiment contre la société, haine dont elle ne cesse d’alimenter le brasier. 

 

 

Pourquoi lire Foucault ? Bien entendu pour comprendre in statu nascendi l’idéologie dominante de notre époque. Mais surtout pour la beauté, qui est celle, troublante et vénéneuse, de son œuvre, cette œuvre-incendie. On lira alors Foucault comme on lit un classique – avec distance et esthétisation, pour le style ou pour s’offrir un moment d’égarement, comme on lit, par exemple, Sade ou Genet.   

 

 

 

 

 

Figaro Littéraire, 26 novembre 2015.