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Justice et injustice en football. Par Robert Redeker. 

 

 

 

 

 

 

« Le football n’est pas le spectacle de la justice, mais il ne saurait se convertir en spectacle de l’injustice » écrit le sociologue Paul Yonnet dans son nouvel ouvrage, Une Main en trop. Surabondamment l’analogie est établie entre la vie en société et un match de football. Les commentateurs, ainsi que de nombreux hommes politiques, voire des entrepreneurs, s’appliquent à présenter le football, et le sport, comme une sorte de modèle pour la société. Or, la réflexion de Yonnet invite au contraire à saisir la différence qui s’instaure entre ce que signifient « justice » et « injustice » sur un terrain de sports et dans la société civile.

 

Qu’est-ce que le football-spectacle ?  Réponse : un drame, se déployant selon une unité de temps, de lieu et d’action, sous le regard du peuple élargi aux dimensions de l’humanité entière par l’effet des moyens contemporains de télédiffusion. L’identité en figure l’enjeu – ce qui institue le football en un drame, joué comme un éternel recommencement, de la communauté, de la nation, voire de la société. Il organise l’incertitude des résultats par une liturgie de l’identification mettant aux prises une élite d’égaux. L’esprit du sport consiste à opposer des égaux, quand l’esprit du jeu tient dans le respect de la règle. On saisit que l’esprit du sport peut entrer en conflit avec l’esprit du jeu, l’égalité des concurrents entraînant une propension à la tricherie pour faire pencher la balance, comme l’illustre la main de Thierry Henry dans un match de triste mémoire et de seconde zone qui opposa des recalés du haut niveau (la France et l’Irlande). 

De cette dialectique entre esprit du sport et esprit du jeu suivent deux observations capitales. D’une part l’arbitre – qui, du coup, n’est pas un analogue d’un magistrat dans la justice civile - prend place à l’articulation entre l’esprit du sport et l’esprit du jeu. Il devient, dit l’auteur, « un enjeu stratégique entre les deux équipes » tout en contribuant à « la fabrique du résultat ».  D’autre part les règles (à l’opposé du droit) sont volontairement établies pour ne pas être appliquées dans leur intégralité. Le football, constate Yonnet, est un « sport où les règles sont écrites pour ne pas être respectées ». Seule une petite partie des infractions est sanctionnée – sinon, il n’y a pas de jeu. Ainsi l’arbitre doit organiser et gérer l’illégalité – Michel Foucault dirait : « les illégalismes » - constitutive, instituante, d’un match de football. Mais l’illégalisme de la main de Thierry Henry n’est pas de cet ordre ; il a trahi l’identité (l’image de la France). 

Spectacle de la justice ou spectacle de l’injustice ? Impératif catégorique de la règle ou laxisme dévastateur ? Jamais un match de football ne doit se bloquer sur l’une des deux extrémités du curseur. L’âme du football loge dans l’entre-deux. Elle circule dans un entre chien et loup indéterminé penchant parfois du côté de la lumière (le Brésil en 1970) et parfois du côté du sombre (l’agression de Schumacher contre Battiston en 1982 ou, plus décisivement ce 18 novembre 2009 au Stade de France où « ont pris fin les temps naïfs »). La dérive vers l’injustice s’écussonne dans une tendance qui ébranle l’identité même du football. Ce sport se signale par deux traits majeurs : il est un jeu sans les mains et il exclut le hachage de l’adversaire. Or l’arbitrage ne parvient plus à contenir la plaie des surfaces de réparation, qui combine en un seul geste la trahison des deux spécificités du foot : le hachage avec les mains, autrement dit le ceinturage. Trahison de l’identité collective et trahison de la spécificité de ce sport menacent ainsi de muter le football en spectacle de l’injustice, donc d’éteindre la passion populaire dont il est l’objet.

 

L’analogie est cette nuit de l’esprit dans laquelle toutes les vaches sont grises. Lumineux – malgré l’amertume de « la fin des temps naïfs » qui en traverse les pages – le livre de Paul Yonnet en montrant la spécificité du spectacle sportif empêche son lecteur de se laisser aller aux fausses identifications : justice sportive-justice civile, arbitre-tribunal, règles footballistiques-lois civiles.